Commémoration des plaques

Allocution cérémonie des plaques le 6 février 2025.

Chers Camarades,

Au nom de l’Union Locale CGT de Nantes, nous vous remercions de votre présence.

Nous sommes ici devant ces plaques en mémoire de nos 181 camarades de L’Union Locale des syndicats confédérés CGT de Nantes victimes de la barbarie nazie et de tous ceux qui la servirent entre 1940 et 1945.

Il y a 80 ans, en février 1945 la guerre mondiale faisait encore rage. Elle s’arrêtera définitivement avec l’entrée de l’Armée rouge dans Berlin entrainant la capitulation de l’Allemagne nazie le 8 mai 1945, et la capitulation du japon le 2 septembre1945 après que les Américains auront utilisé la bombe atomique contre les villes d’Hiroshima et de Nagasaki. Le 27 janvier 1945 l’Armée rouge libère les 7000 survivants du camp de concentration et centre d’extermination d’Auschwitz. Plus d’un million de victimes y ont péri victimes de la barbarie nazie. Ce 27 janvier est devenu la Journée internationale de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité. Cette guerre fut le théâtre d’horreurs sans précédents à l’échelle de l’histoire de l’humanité, elle causa entre 60 et 80 millions de morts. Une grande majorité de tués furent des civils. Parmi les victimes, 6 millions de Juifs et 220 000 tsiganes furent assassinés, de même que les homosexuels, les handicapés…

Toutes ces horreurs furent l’aboutissement des rivalités impérialistes entre les grandes puissances, de la recherche débridée et sans limite du profit, d’une compétition sans limites qui exacerbe la haine et la division entre les peuples.

Nos camarades dont les noms sont gravés sur ces plaques firent le choix d’agir pour un monde meilleur au prix de leur existence. Ils firent la démonstration qu’ils étaient des Femmes et des Hommes libres. Face à la pire des barbaries ils choisirent de lutter pour l’émancipation du genre humain et pour un avenir meilleur.

Parmi les 181 noms gravés sur ces plaques nous avons cette année choisi d’évoquer la mémoire de Marguerite Joubert-Lermite.

Le 25 février 1910 à Vallet, Marguerite Joubert naquit dans une famille ouvrière et catholique qui gagna Nantes durant la Première Guerre mondiale.

Elle entre à l’Ecole normale en 1926. Atteinte par la tuberculose la jeune femme part au sanatorium de Sainte-Feyre en 1928. Elle y est encouragée à écrire, comme elle le fait depuis l’adolescence, des poèmes dont l’un fut publié dans la Nouvelle Revue Française en novembre 1933.

De retour à Nantes en 1931 elle rejoint un groupe de jeunes instituteurs militants syndicaux. C’est avec l’un d’entre eux, André Lermite, qu’elle se marie plus tard.

Ces instituteurs rencontrent Jean Bruhat, professeur au lycée Clemenceau et membre du parti communiste.

Ce parti a justement besoin de nouveaux cadres et Marguerite Joubert est poussée en avant par Jean Bruhat. Au cours de l’année charnière 1932-1933 elle a adhéré au syndicat des instituteurs affilié à la CGT, à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires puis au Parti communiste.

Elle explique son engagement :

« Amenée à juger la société capitaliste, je me suis rangée aux côtés du prolétariat ; mes besoins de logique, de clarté, mon amour des forces neuves, des réalités en espoir, se sont cristallisés autour du mot ‘‘révolution’’ ».

Marguerite Joubert-Lermite

Elle entre au début de 1934 au bureau régional du parti comme secrétaire régionale des jeunesses communistes. Militante convaincue, elle met en œuvre les directives nationales : faire de la culture un vecteur de la conquête des jeunes, les former et créer des sections féminines.

A nouveau malade en 1932-1933, Marguerite Joubert ne devient institutrice qu’en 1934 d’abord au Gâvre puis à Bouaye. Elle prend, fin 1935, des fonctions au sein de nouvelles instances syndicales réunifiées. Ce sont donc là plusieurs années d’un engagement intense, toujours tourné vers la formation des jeunes, dans le contexte historiquement dense du Front populaire et des tensions en Europe. Elle se marie en 1938 puis, enceinte, redevient une militante locale.

Installés à Chantenay les époux Lermite appartiennent à un parti interdit après la signature du pacte germano-soviétique. Devenus, après la défaite française, les ennemis du régime de Vichy, ils sont inquiétés par le ministère de l’Education nationale et surveillés par la police française.

Son mari est arrêté le 9 juillet 1941, à la demande des Allemands, peu après l’attaque de l’URSS, et interné au camp de Compiègne où il participe au mouvement de résistance communiste. Marguerite Joubert-Lermite resta seule à Chantenay. En août 1942 la police française mène une vaste opération d’arrestations de jeunes résistants communistes en Loire-Inférieure.

Se sentant menacée, elle fut elle-même arrêtée à Mouzeil par la police judiciaire d’Angers le 5 septembre 1942. Malade, elle fut soignée à la prison de Nantes puis internée fin septembre 1942 à la prison de la Roche-sur-Yon, avant d’être transférée avec d’autres communistes à la prison de Fontenay-le-Comte à la fin du mois d’octobre 1942. Au milieu de janvier 1943, elle fut à nouveau déplacée, cette fois vers le camp de Romainville. Elle fit partie des 230 femmes sélectionnées pour constituer un convoi qui partit pour Auschwitz le 24 janvier 1943. Internée au camp de Birkenau, elle mourut sous le matricule 31 835 à la fin du mois de février selon ses camarades du convoi, ou le 18 mars 1943, selon les registres du camp. Sa famille fut avertie de son décès en mai 1943. A la Libération, André Lermite a donné son nom à l’école où il enseignait. Marguerite Joubert-Lermite, elle, n’est restée que dans la mémoire de ses proches et de ses camarades.

A l’image de Marguerite Joubert-Lermite, nos camarades aussi héroïques qu’ils nous apparaissent étaient pourtant des gens ordinaires, souvent très jeunes, Ils ne doivent pas être oubliés. Ils étaient ajusteurs, fraiseurs, chaudronniers, traceurs, menuisiers, cheminots… ; Ils avaient en tant qu’ouvriers créés les richesses de l’industrie de notre pays, du site des Batignolles à l’arsenal d’Indret, des chantiers navals aux quais des bords Loire, dans les usines de Chantenay et de Rezé pour ne citer que quelques endroits. Pour certains d’entre nous, ce sont des proches ou des aïeuls. Et, à ce moment, nous avons une pensée particulière pour Philippe et Jean-Philippe, nos camarades de l’Union locale de Nantes, dont les grands-pères Téophile HUCHET et Vincent MAZAN sont cités parmi ces 181 victimes de la barbarie nazie.

Nos camarades s’étaient engagés avant-guerre pour l’émancipation des travailleurs lors des grèves de 1936 alors que nombre de patrons criaient au même moment « mieux vaut Hitler que le Front Populaire ». De grandes réformes sociales avaient consacré leurs efforts, nous leur devons notamment les congés payés. A la suite de la mobilisation de la classe ouvrière ce qui semblait être une utopie irréalisable s’était concrétisée en quelques jours seulement. Le premier jour de l’été 1936 semblait ouvrir une période de bonheur et d’insouciance. Cette année-là, 600 000 Français prirent des congés payés pour la première fois.

C’était sans compter avec la vague fasciste qui submergeait alors l’Europe et l’Asie. Les régimes fascistes de l’époque Allemagne, Italie, Japon se livrèrent à une série d’actes de prédation contre les peuples d’Abyssinie, d’Autriche, d’Espagne, de Tchécoslovaquie, de Chine, de Pologne provoquant pour finir une guerre généralisée.

Après la défaite de la France en juin 1940, nos camarades choisirent de résister à l’occupant nazi tandis que ces mêmes patrons se vautrèrent le moment venu dans la collaboration.

N’oublions jamais que nombre d’industriels de l’époque de la Seconde guerre mondiale ont préféré, sur le dos des travailleuses et travailleurs, choisir le camp du profit plutôt que celui de l’humain. Nous n’énumèrerons pas ici toutes les entreprises qui ont collaborées, et elles sont nombreuses : les banques, les entreprises métallurgiques, le BTP et bien d’autres.

La résistance fut précoce en Loire inférieure : notre camarade cheminot marin Poirier présent sur les plaques fut le premier résistant nantais à être fusillé le 30 aout 1941.

D’une façon générale, en tant que syndicalistes CGT, mais aussi militants communistes, socialistes, trotskistes ou bien encore gaullistes, elles/ils étaient souvent bien placés pour créer des réseaux de renseignement ou de sabotage dans les nombreuses usines qui travaillaient pour l’effort de guerre allemand. Leurs réseaux relationnels servirent à drainer un certain nombre de militants vers les mouvements de résistance.

N’oublions jamais, non plus, qu’ils résistèrent avec des moyens dérisoires face à une armée victorieuse et un état français hostile qui collaborait avec l’ennemi.

En effet si nos camarades furent traqués, torturés, fusillés, déportés par les services de police et l’armée d’occupation tout ceci n’aurait pu se faire sans l’aide active des services de l’Etat français, la police, la gendarmerie, la justice et les différents auxiliaires du nazisme que le régime de Vichy abritait en son sein.

N’oublions jamais que l’extrême droite a bel et bien été au pouvoir en France entre 1940 et 1944 : ne laissons pas l’histoire se répéter.

À partir de 1942, les actes de résistance se multiplièrent en Loire-Inférieure malgré les vagues d’arrestation de l’été 42. Les réseaux se reconstituèrent et les actions reprirent dès novembre.

Avec la collaboration de Vichy, l’occupant nazi et ses supplétifs français menèrent une guerre totale contre les Résistants et organisa la répression contre les Francs-Tireurs et Partisans nantais. Début 1943, Il mit en scène un procès spectacle au palais de justice de Nantes, le procès dit des 42 (en réalité 43 hommes et deux femmes). 37 FTP Nantais furent condamnés à mort le 28 janvier 1943 pour avoir perpétrés des actes de résistance allant du sabotage à l’exécution du responsable du personnel collaborationniste de l’usine des Batignolles.

A cette occasion, Le Phare, journal collabo nantais titra après le verdict : « La civilisation occidentale épure… »

Le démantèlement d’un nouveau réseau abouti, en aout 1943, au “procès des 16”.

Durant les années d’occupation et de guerre, avec 331 fusillés et près de 900 déportés politiques, la Loire-Inférieure a payé un lourd tribut à la répression.

Beaucoup d’entre eux étaient des militants de la CGT.

Nous savons maintenant que leur lutte et leur sacrifice n’ont pas été vains. L’héritage de leur Résistance marquera durablement la vie politique française. A la Libération, la Résistance qui devait beaucoup aux salariés et à leurs organisations, permit l’application de l’essentiel du programme du Conseil National de la Résistance, les « Jours heureux ». Ce programme du Conseil National de la Résistance se réalisa notamment par le vote des femmes, la nationalisation des secteurs clés de l’économie et la création de la Sécurité sociale.

Tout cela fut possible dans une France ruinée en pleine reconstruction. Aujourd’hui alors que les profits n’ont jamais été aussi importants, nos gouvernants répondent aux exigences du patronat « en défaisant méthodiquement le programme du Conseil National de la résistance ».

Ce même système capitalisme qui n’a d’autre boussole que l’accumulation du profit et la compétition débridée est en grande partie responsable de l’état critique de notre planète d’un point de vue environnemental.

L’appât du gain est la première cause des nombreuses guerres qui ensanglantent le monde que ce soit celles en cours en Europe de l’Est, au Moyen Orient, en Afrique ou celles latentes dans le Pacifique. A l’heure où il n’apparait plus improbable que notre pays, qui est une puissance nucléaire soit engagée directement dans un conflit militaire face à une autre puissance nucléaire nous devons tout mettre en œuvre pour qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas. Comme le rappelait la nantaise Renée Losq, grande résistante communiste, rescapée du procès des 42 et des camps de Ravensbrück puis Mauthausen : la guerre « ne mène à rien sauf à la misère ». A la fin des années 90 les idéologues du capital nous promettaient une mondialisation heureuse et la fin de l’Histoire. Au 21 -ème siècle si nous poursuivons le chemin tracé par ces brillants visionnaires ils se pourrait bien que nous connaissions la fin de l’humanité tout court.

Comme dans les années 30 qui a vu la montée du fascisme en Europe, le monde étouffe d’un excès de spéculation et d’une insuffisance de rémunération du travail, de mise en compétition généralisée des travailleuses et des travailleurs, terrain fertile du nationalisme. Aujourd’hui, l’Europe et le Monde sont à nouveau rongés par le fanatisme, l’extrémisme, le nationalisme.

Les craintes exprimées à l’occasion des élections législatives de juin 2024 concernant l’ancrage de l’extrême droite dans le paysage politique français se sont avérées exactes. La réaction complaisante du 1er ministre François Bayrou à l’annonce du décès du fasciste Jean Marie Lepen, révisionniste, tortionnaire de la guerre d’Algérie et antisémite notoire, est la preuve que c’est la perte de mémoire collective qui en est la cause, et les responsables sont ceux de nos dirigeants qui s’allient avec les mêmes qui a une période sombre de notre Histoire ont mis en avant l’intérêt du capital, au détriment de l’Humain et des idéaux démocratiques.

Rendre hommage aux femmes et aux hommes de la classe ouvrière qui choisirent la résistance est par conséquent aujourd’hui une nécessité absolue.

En ces temps de destruction de nos conquis sociaux et de criminalisation de l’action syndicale, nous pensons à toutes celles et tous ceux qui par le monde luttent contre l’injustice sociale, pour la démocratie et la paix entre les peuples. Ou qu’ils se trouvent, que ce soit en Afghanistan, en Ukraine, en Russie, en Israël, en Iran, en Cisjordanie, en Palestine, en Syrie, au Liban, dans les Corées, en Autriche, en Argentine, aux Etats Unis, en Géorgie, en Turquie, au Qatar, au Soudan, en Tunisie ou bien en France… Ils/ elles sont à leurs niveaux les résistants d’aujourd’hui. Aussi, en hommage aux martyrs du nazisme d’hier et aux opprimés du patronat actuel, nous devons continuer le combat contre le capitalisme, l’impérialisme et leur faire valoir qui permettent à quelques-uns d’accaparer l’essentiel des richesses produites dans le monde quitte à le détruire.

Nous vous remercions.